Savoir écrire une pièce pour orchestre sans jamais l’entendre en vrai est un des écueils rencontrés par les jeunes compositeurs et compositrices. C’est le défi qu’a voulu relever l’Orchestre national d’Île-de-France en créant en 2013 le concours Île de créations. Pour la 8e année, parmi les candidats et candidates qui tentent leur chance, issus des cursus européens, trois ont été sélectionnés pour la finale publique : ils participeront à la création de leur œuvre dans des conditions professionnelles au Centre culturel des Bords de Marne (94), au cours de la saison 2020-2021*.
Pour le Mag’, Camille Villanove a mené l’enquête afin de cerner l’opportunité que représente ce concours dans le paysage de la musique contemporaine.
* En raison de l’épidémie du coronavirus Covid-19, report du concours prévu au 15 avril 2021. Plus d’informations sur : www.orchestre-ile.com
Episode 2 : Le point de vue de la finaliste, María del Pilar Miralles Castillo
Propos recueillis par Camille Villanove en mars 2020
A vingt-deux ans, l’Espagnole María del Pilar Miralles Castillo s’est déjà distinguée dans plusieurs concours de composition internationaux. En septembre 2019, pour la première fois, elle tente sa chance à celui de l’Orchestre national d’Île-de-France, sur les conseils d’un ami : parmi les vingt-quatre candidats et candidates, elle est la plus jeune et sera la seule femme finaliste. Sa pièce pour violoncelle et orchestre Five Pieces of Advice (“Cinq conseils”) marque une étape majeure dans sa recherche d’un langage personnel. Dès l’année prochaine, elle s’envolera en Islande pour poursuivre son rêve : devenir compositrice. Faisons connaissance avec cette artiste déterminée.
A quel âge avez-vous décidé de vous consacrer à la composition ?
C’est venu progressivement. J’ai commencé par la flûte et le piano, je pensais devenir flûtiste. Les cours d’harmonie et de contrepoint m’ont donné goût à la composition. Vers quinze, seize ans, j’ai senti que c’était ce que j’aimais le plus.
Au cours de votre cursus au conservatoire de Grenade puis à Madrid, avez-vous l’occasion de composer pour orchestre ?
En Licence, nous faisions des exercices d’orchestration. Mon professeur de composition et d’orchestration cultivait une démarche très expérimentale. Il n’était pas évident de chercher mon style dans ce contexte. C’est seulement l’été 2019 que je me suis essayée à l’orchestre, avec mon langage. Puis j’ai écrit la pièce du concours, ma première pour soliste et orchestre.
Pour postuler, il fallait composer une « ouverture concertante » pour violoncelle soliste et orchestre construite en cinq mouvements de deux minutes*: ces contraintes vous ont-elles stimulée ?
Le défi était de trouver une cohérence dans cette structure imposée, dans l’enchaînement de ces mouvements très courts. J’ai composé la pièce en deux semaines, j’étais très motivée. Ce qui m’a inspirée, c’est ce que je vivais alors : je venais de m’installer à Madrid loin de mes proches, pour poursuivre mes études**.
Qu’est-ce qui vous motivait tant ?
Île de créations offre une expérience différente des autres concours de composition parce qu’il ne vise pas seulement l’obtention d’un prix. Il intègre les différentes étapes de la composition avant l’envoi de la partition définitive : travailler avec Victor Julien-Lafferière sur la partie de violoncelle solo, explorer des questions esthétiques, la notion de musique concertante dans le cadre de la master-class avec le compositeur en résidence de l’Orchestre national d’Île-de-France, Guillaume Connesson. Enfin, ce sera la première fois que j’entendrai une de mes compositions interprétée par un orchestre.
Ce sera la première fois que j’entendrai une de mes compositions interprétée par un orchestre.
Comment voyez-vous votre situation de compositrice dans dix ans ?
Je me vois à l’étranger. Je voudrais étudier le plus longtemps possible. A terme, mon but est de vivre de mes œuvres même si j’ai conscience que c’est utopique. Enseigner me plairait également car ainsi, on continue à apprendre.
Pourquoi quitter l’Espagne ?
Ici, la vie de la musique contemporaine est entre les mains de compositeurs très influents, en particulier dans les lieux d’enseignement. Il faut poursuivre la même esthétique qu’eux. La renommée n’est pas basée sur le talent mais sur l’adhésion à cette esthétique, l’intégration à ce réseau, surtout à Madrid. Il est si difficile d’être soi !
Je voudrais étudier le plus longtemps possible.
En tant que femme, rencontrez-vous des entraves à cette ambition ?
Dans ma classe de composition électroacoustique, je suis la seule femme parmi onze étudiants. Dans les concours, j’ai été plusieurs fois la seule femme sélectionnée. Les gens étaient surpris à la fois par ma jeunesse et parce que je suis une femme. Cependant je ne perçois pas de regard différent. Les obstacles me semblent plus d’ordre psychologique. Personnellement, j’ai la chance d’être soutenue par ma famille, mes ami·es étudiant·es et mes professeurs.
Je ne perçois pas de regard différent.
De quoi avez-vous le plus besoin pour avancer dans votre carrière de compositrice ?
D’avoir des créations en public. En Espagne, dans les classes d’instrument, dans les concerts, professeurs, programmateurs, programmatrices imposent le même répertoire depuis cinquante ans. Ils n’acceptent pas de créer de nouvelles œuvres, encore moins celles des jeunes.
Avoir des professeurs qui ne veulent pas imposer leur style, qui guident, plus qu’ils ne dirigent est déterminant aussi pour ma motivation.
Que vous évoque ce constat de la compositrice Clara Iannotta :
» Je ne pense pas que la musique contemporaine actuellement puisse avoir un impact sur le monde. J’espère que cela va changer » ?
Je ne suis pas entièrement d’accord. Certes, la musique contemporaine est en crise. Une partie des compositeurs et compositrices ne visent que la nouveauté en tant que concept et mettent à distance leur rôle dans la société. Mais d’autres cherchent à développer à travers l’expérience musicale une réaction émotionnelle sur le public, ce qui est selon moi le seul but de l’art. Une œuvre ne trouve son accomplissement que lorsqu’elle est reçue par un public.
Une œuvre ne trouve son accomplissement que lorsqu’elle est reçue par un public.
Une femme qui a compté dans votre parcours ?
La compositrice russe Galina Ustvolskaya (1919-2006) qui fut l’élève de Chostakovitch. C’est mon cher professeur José López-Montes qui me l’a fait découvrir. Je la considère comme l’une des meilleures parmi les compositeurs et compositrices du XXe siècle. Sa musique est unique, si personnelle. Mon projet de Master porte sur ses œuvres.
Parmi les compositrices espagnoles, avez-vous des modèles ?
Je n’ai eu aucune femme professeur de composition. En Espagne, il n’y a pas tant de compositrices talentueuses qui enseignent. Je n’en connais que quatre *** et du point de vue de leur style, ce ne sont pas des modèles pour moi.
*Ce format tient à l’émission de France musique Création mondiale dans laquelle sera diffusée la pièce lauréate du concours, courant 2020.
** Voir la note d’intention de María del Pilar Miralles Castillo sur www.orchestre-ile.com
***Alicia Díaz de la Fuente, Teresa Catalán, Zulema de la Cruz et Reyes Otero.
Parcours
- 1997 : Naissance.
- Etudes de flûte traversière et de piano au Conservatoire d’Almeria.
- 2019 : Licence de Composition au Conservatoire royal supérieur Victoria Eugenia de Grenade.
- 2019 : 2nd Prix au Concours International de composition Junior Antonín Dvorák de Prague (IADCC).
- Octobre 2019 : 1er Prix au Concours de composition pour femmes María Teresa Prieto.
- 2019-2020 : Master en Composition électroacoustique au Centre d’éducation supérieure Katarina Gurska de Madrid.
- 2020 : Admise en Master de composition à l’Université de Reikiavik (Islande).
- 2020 : Sélectionnée par le Baltimore Philharmonia Orchestra pour une création.
Pour aller plus loin
- Ecouter la musique de María del Pilar Miralles Castillo
- Concours Île de créations : Calendrier et règlement
Prochainement sur le Mag
Episode 3 : Le point de vue d’une ancienne lauréate, Camille Pépin
Composer pour orchestre ? Un défi pour les jeunes compositrices
[…] Les interprètes de la jeune génération intègrent naturellement des œuvres de compositrices d’hier et d’aujourd’hui. Non pas parce que ce sont des femmes qui les ont écrites mais pour la musique en elle-même.