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Canada
Jean Coulthard (1908-2000) est généralement reconnue comme l'une des figures les plus éminentes de l'histoire de la musique canadienne du XXe siècle. Ses compositions font partie des œuvres les plus fréquemment interprétées et enregistrées dans le répertoire musical canadien. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions pour son œuvre, tant au niveau national qu'international. Son influence dans le domaine de la composition et son implication dans le domaine de la création ont laissé une marque durable sur la scène musicale canadienne. Née en février 1908 dans la région de Vancouver, en Colombie-Britannique, Jean Coulthard s'est initiée à la musique dès son enfance auprès de sa mère, une musicienne professionnelle et enseignante en musique. Ses premières compositions ont été réalisées sous la supervision de cette dernière, qui lui a fait découvrir, dès son plus jeune âge, la musique dite « impressionniste » ainsi que, d’une façon plus générale, le répertoire de la musique anglaise et française du début du XXe siècle. Debussy est notamment demeurée une influence persistante tout au long de sa carrière. En 1928, elle a reçu une bourse pour étudier au Royal College of Music de Londres, aux côtés de RO Morris, Kathleen Long et Ralph Vaughan Williams, pendant un an. De retour à Vancouver, elle ressent un désir ardent de se consacrer à la composition, mais estimait avoir encore des lacunes dans sa technique et sa créativité. Durant les années 1930 et au début de la Seconde Guerre mondiale, elle s'est attelée à approfondir son apprentissage et à perfectionner son approche compositionnelle en tant que professionnelle. Elle constitue un répertoire précoce de pièces vocales, pour piano, et parfois pour ensemble instrumental, qu'elle a révisées au fil des années.
Ne trouvant pas d’enseignant ou de mentor à proximité, elle entreprenait occasionnellement des voyages pour solliciter les conseils critiques de divers musiciens de renom sur son travail. Elle rencontrera notamment des personnalités telles que Béla Bartók à New York, Arnold Schönberg à Los Angeles, Darius Milhaud au Mills College d'Oakland en Californie, et Aaron Copland à New York. Elle n’a pas étudié formellement avec ces compositeurs. Elle cherchait avant tout à obtenir des avis professionnels de renom sur son travail et à recueillir des conseils sur ses créations. À partir de 1939, elle a poursuivi son apprentissage avec le compositeur australien Arthur Benjamin, résidant alors à Vancouver, qui l'a encouragée à élargir le cadre et l'envergure de son travail. Jusque-là, elle écrivait principalement pour de petites formations, généralement pour la voix. Benjamin l’encourage à s'éloigner de ce répertoire et à écrire pour l'orchestre. Elle se tourne dès lors vers l'écriture de pièces orchestrales ambitieuses, parmi lesquelles A Canadian Fantasy (1939), A Winter's Tale (1940), Excursion (1940), et Song to the Sea (1942). De 1944 à 1945, Coulthard reste à New York pour suivre des cours intensifs avec Bernard Waagenar (1894-1987) à la Julliard School. Cette expérience lui permit de perfectionner ses compétences techniques et de développer son sens des formes et son langage harmonique, notamment en explorant les techniques polytonales et dodécaphoniques, et d’affirmer davantage son propre style. De retour à Vancouver, elle commence à mener une double carrière dans la composition et l'enseignement. Engagée à l'Université de la Colombie-Britannique en 1947, elle y a enseigné la théorie musicale et la composition pendant 26 ans, formant de futurs musiciens réputés. Entre 1946 et 1948, Coulthard entreprend un travail sur trois sonates, une pour piano, une pour hautbois et piano et une pour violoncelle et piano, des œuvres qui illustrent tout son savoir-faire de l'époque. Elle produira, plus tard, de nombreuses autres sonates solo ou duo pour presque tous les instruments de l'orchestre. Au cours des années suivantes, elle continuera à élaborer son langage musical personnel. Malgré les tendances modernistes prévalentes de l’époque, elle reste fidèle à sa voie artistique marquée par l’héritage de l'impressionnisme et les influences de musiciens comme Bartok.
Au cours des années 1950, la compositrice s'interroge, cependant, sur la pertinence de son style, à l’heure où les avant-gardes modernistes, héritières de Webern, prônent l’usage des techniques d'écriture sérielle intégrale et autres approches techniques et mathématiques complexes, assez éloignées de ses orientations. Coulthard avait jadis déjà discuté de cette question avec Schoenberg à propos de la technique dodécaphonique lors de leur rencontre. Ce dernier l'avait alors encouragée à suivre sa voie sans se sentir contrainte d'embrasser cette approche. Forte de ses conseils elle avait alors privilégié la voie qui lui semblait la plus en phase avec ses aspirations. Toutefois, ce regain d'intérêt pour les techniques sérielles dans les années 1950, ainsi que l'influence dominante des tendances modernistes changent la donne. Inquiète à l'idée que son style musical puisse être jugé dépassé ou trop conservateur face aux nouvelles tendances, elle décide de prendre une année sabbatique pour se rendre en France. Elle entendait rencontrer, entre autres, Nadia Boulanger, célèbre pédagogue française particulièrement réputée en Amérique du Nord. Elle obtient à cette fin une bourse de la Royal Society of Canada qui lui finance une année d’études en France en 1955. L’enseignement et la personnalité de Nadia Boulanger ne lui conviendront cependant pas. Son séjour en France sera néanmoins enrichissant, au regard notamment de cette possibilité d’être au contact des musiques qui l’avaient tant inspirée. Elle revient revitalisée de ce séjour, recentrée sur l'essentiel de sa pratique de création. Ce séjour lui a, en effet, permis de consolider son engagement en tant que compositrice et donné la force de poursuivre sur sa voie personnelle hors de toute doctrine et tendance du moment, acceptant que sa démarche puisse être jugée plus traditionnaliste que les tendances avant-gardistes de l’époque. La productivité de Coulthard à la fin des années 1950 et tout au long des années 1960 fut soutenue. Son plus grand projet, l'opéra en trois actes, Le Retour du Natif, commencé à Paris en 1955 sera achevé seulement en 1979. Dans les années 1960, son œuvre gagne en reconnaissance internationale, grâce notamment à de nombreuses diffusions radiophoniques à travers le monde.
Elle prend sa retraite et quitte son poste d'enseignante à l'Université en 1973. Mais sa carrière musicale est loin d’être terminée. Cette période d'après-retraite s’avère plus encore prolifique, et riche dans l'évolution de son langage musical. Elle reçoit de nombreuses distinctions et récompenses pour ses créations (voir ci-dessous), restant active dans le domaine de la création jusqu'à la fin de sa vie, acceptant des commandes même à un âge avancé. Jean Coulthard s'éteint en mars 2000 à l'âge de 92 ans, ayant vécu la majeure partie de sa vie à Vancouver. Elle laisse une œuvre importante avec un catalogue de plus de 350 œuvres dans presque tous les genres musicaux, parmi lesquels un opéra, quatre symphonies, un concerto pour violon, trois quatuors à cordes, un nombre important de sonates et de pièces de musique de chambre, ainsi que de nombreuses pièces pour voix ou pour ensemble vocal.
Esthétique, langage musical et expressivité
Son style musical s'est développé au fil des années, brassant différentes influences parmi lesquelles, en premier lieu, on l’a dit, l’impressionnisme, le romantisme, la musique de Bartók ainsi que différentes esthétiques modernistes, tout en y adjoignant différents éléments issus de la culture canadienne dans plusieurs de ses compositions. Son langage musical repose, comme précédemment évoqué, en grande partie sur les assises d’un langage tonal élargi, sans pour autant céder à l’académisme, ayant toujours été en quête d’originalité dans sa démarche. Ses compositions combinent ainsi des éléments tels que les formes traditionnelles avec un langage tonal-modal, agrémenté notamment d’éléments polytonals et d’harmonies chromatiques. Son langage, comme on l’abordera plus loin, évoluera aussi, cependant, vers l’exploration de techniques d’écriture modernistes. Toujours est-il que face à l’essor des doctrines d'avant-garde de la deuxième moitié du XXe siècle, souvent associées, à tort ou à raison, à une image de cérébralité, Coulthard défendait d'abord l’idée du caractère sensible, expressif et personnel de la création censée d’abord parler au cœur, et non pas seulement à l’intellect – une idée qui revient souvent dans ses discussions. Sa musique entendait représenter l’idée qu’elle se faisait des valeurs humaines dans un âge de science. Elle était d’abord préoccupée par la question de l’expressivité et du caractère évocateur de la musique. Selon elle, l’impulsion créative devait rester de l’ordre de l’intuitif et du spontané sans chercher à se forcer ou à se conformer à un style, une doctrine ou une technique imposée. C’est à ce prix, à ses yeux, que l’on pouvait rester en phase avec la mécanique de sa propre sensibilité créative et que l’inspiration pouvait venir plus librement. Dans une perspective analogue à la démarche de Bartók ses œuvres entendaient également exprimer certains sentiments liés à son attachement à sa patrie, explorant différents aspects de la vie canadienne, tant à travers l’évocation de ses paysages, que ses traditions –d’où les nombreuses références, dans sa musique, à la culture canadienne et parfois aussi à celle des peuples natifs (à l’instar d’une pièce comme Love Song of the Haida Indians). Parmi ses œuvres les plus emblématiques à cet égard, Canada Mosaic (1974), une suite orchestrale célébratoire commandée par l'Orchestre symphonique de Vancouver. Cette pièce, construite autour de plusieurs mélodies canadiennes traditionnelles, entend rendre hommage à la diversité culturelle et ethnique du Canada, également imprégnée de ses propres souvenirs d'enfance. Outre les références aux chants traditionnels, elle intègre également des références à des poètes ou peintres canadien-nes dans ses œuvres.
Les œuvres tardives de Coulthard, après sa retraite, témoignent aussi d’un intérêt accru pour les techniques d’avant-garde du XXe siècle, comme l’illustrent son usage de micro-intervalles, d’éléments de musique concrète (à l’instar d’une pièce de musique mixte comme The Birds of Landsdowne, en 1972), de l’électronique, les processus d’indétermination, l’usage de clusters ou même l’usage occasionnel d’une écriture dodécaphonique. Image Astrale (1981) pour piano et sa pièce compagne Image terrestre (1990) mettent, par exemple, en exergue l’usage de plusieurs de ces éléments modernistes aux côtés de formes d’écriture impressionnistes ou plus traditionnels. Ces œuvres incarnent en cela le développement de nouvelles stratégies compositionnelles déterminantes notamment pour son style pianistique de la maturité. La compositrice n’envisageait cependant pas son œuvre comme se divisant en périodes stylistiques distinctes comme on pourrait être tenté de le croire en voyant ses explorations successives du langage musical. Elle décrivait son œuvre comme se subdivisant en deux courants de pensée parallèles : l’un qu’elle décrit comme « la nature lyrique ondoyante de la lumière du soleil scintillant sur les pierres aquatiques d'un petit ruisseau », l'autre comme « plus sombre, reflétant la profondeur de l'être dans les fjords profonds de la côte ouest ». Dans la première catégorie des « œuvres ensoleillées », elle y inclut volontiers des pièces comme sa Fantaisie pour violon, piano et orchestre de chambre, son Premier Quatuor à cordes et son ensemble complet de duos de chambre pour instruments à vent et piano. Parmi les œuvres plus sombres et plus méditatives elle y inclut, entre autres, sa Sonate en duo pour violon et piano, son Deuxième Quatuor à cordes ("Threnody"), les Variations sur B-A-C-H pour piano, son Octet : Douze Essais sur un Thème Cantabile, et l'Ode Symphonique pour alto et orchestre. L’orientation esthétique diffère seulement selon la finalité à laquelle elle destinait son travail. Ainsi l’esprit impressionniste, atmosphérique et évocateur reste encore prégnant dans certaines pièces tardives comme les Sketches from the Western Woods (1970) faisant encore écho à certains éléments de l’écriture pianistique debussyste. Pour d’autres pièces, elle entendait, au contraire, explorer une approche plus abstraite, plus difficile d’accès à l’instar d’une de ses pièces, souvent considérée comme l’un de ses chefs-d’œuvre, son Octet : Twelve Essays on a Cantabile Theme (1972). Il n’y a donc jamais eu de coupure nette entre une période stylistique ou une autre, mais plutôt un élargissement des possibles et des techniques utilisées pour traduire plusieurs aspects de sa sensibilité. Les modèles de l’impressionnisme de sa jeunesse restant toujours néanmoins un point d’ancrage dans sa création tout au long de sa carrière.
Distinctions
Jean Coulthard a reçu de nombreuses distinctions et récompenses pour son travail au cours de sa carrière, tant au niveau national qu'international. C’est sans doute après sa retraite qu’elle a reçu la majeure partie des récompenses, hommages et honneurs qui lui ont été consacrés. Elle a notamment été nommée officier de l'Ordre du Canada en 1988 et Citoyenne d'honneur de la ville de Vancouver en 1978 (« Freeman of the City of Vancouver »). Elle figure également parmi les compositeurs et compositrices agréés du Centre de musique canadienne et est, par ailleurs, membre de la Ligue canadienne des compositeurs. Le label RCI lui a également consacré le coffret numéro 10 de sa collection Anthology of Canadian Music/Anthologie de la musique canadienne en 1982, y incluant notamment la discussion « Music Is My Whole Life » retraçant son parcours et ses conceptions artistiques. En 1984, elle fut aussi nommée « Compositrice de l'année » par la SDE Canada (Société de droits d'exécution du Canada limitée). Elle s’est vue par ailleurs décerner deux doctorats honorifiques de l’Université de la British Columbia en 1988 et de l'Université Concordia de Montréal en 1991. En 1994, elle recevra l'Ordre de la Colombie-Britannique. Elle fut aussi lauréate de prix internationaux lors des olympiades de Londres et d'Helsinki (pour la Sonate pour hautbois et piano, 1947 et Night Wind, 1951), de la Commission de diffusion australienne (pour la Symphonie no 1, 1950), de la British Women Musicians' Society (Capriani Prize pour sa pièce Music for Midsummer 1971) et de plusieurs autres institutions. Jean Coulthard a également été honorée en 1990 par le magazine Maclean's, qui l'a incluse dans son tableau d'honneur.
– Frédérick Duhautpas –
Ne trouvant pas d’enseignant ou de mentor à proximité, elle entreprenait occasionnellement des voyages pour solliciter les conseils critiques de divers musiciens de renom sur son travail. Elle rencontrera notamment des personnalités telles que Béla Bartók à New York, Arnold Schönberg à Los Angeles, Darius Milhaud au Mills College d'Oakland en Californie, et Aaron Copland à New York. Elle n’a pas étudié formellement avec ces compositeurs. Elle cherchait avant tout à obtenir des avis professionnels de renom sur son travail et à recueillir des conseils sur ses créations. À partir de 1939, elle a poursuivi son apprentissage avec le compositeur australien Arthur Benjamin, résidant alors à Vancouver, qui l'a encouragée à élargir le cadre et l'envergure de son travail. Jusque-là, elle écrivait principalement pour de petites formations, généralement pour la voix. Benjamin l’encourage à s'éloigner de ce répertoire et à écrire pour l'orchestre. Elle se tourne dès lors vers l'écriture de pièces orchestrales ambitieuses, parmi lesquelles A Canadian Fantasy (1939), A Winter's Tale (1940), Excursion (1940), et Song to the Sea (1942). De 1944 à 1945, Coulthard reste à New York pour suivre des cours intensifs avec Bernard Waagenar (1894-1987) à la Julliard School. Cette expérience lui permit de perfectionner ses compétences techniques et de développer son sens des formes et son langage harmonique, notamment en explorant les techniques polytonales et dodécaphoniques, et d’affirmer davantage son propre style. De retour à Vancouver, elle commence à mener une double carrière dans la composition et l'enseignement. Engagée à l'Université de la Colombie-Britannique en 1947, elle y a enseigné la théorie musicale et la composition pendant 26 ans, formant de futurs musiciens réputés. Entre 1946 et 1948, Coulthard entreprend un travail sur trois sonates, une pour piano, une pour hautbois et piano et une pour violoncelle et piano, des œuvres qui illustrent tout son savoir-faire de l'époque. Elle produira, plus tard, de nombreuses autres sonates solo ou duo pour presque tous les instruments de l'orchestre. Au cours des années suivantes, elle continuera à élaborer son langage musical personnel. Malgré les tendances modernistes prévalentes de l’époque, elle reste fidèle à sa voie artistique marquée par l’héritage de l'impressionnisme et les influences de musiciens comme Bartok.
Au cours des années 1950, la compositrice s'interroge, cependant, sur la pertinence de son style, à l’heure où les avant-gardes modernistes, héritières de Webern, prônent l’usage des techniques d'écriture sérielle intégrale et autres approches techniques et mathématiques complexes, assez éloignées de ses orientations. Coulthard avait jadis déjà discuté de cette question avec Schoenberg à propos de la technique dodécaphonique lors de leur rencontre. Ce dernier l'avait alors encouragée à suivre sa voie sans se sentir contrainte d'embrasser cette approche. Forte de ses conseils elle avait alors privilégié la voie qui lui semblait la plus en phase avec ses aspirations. Toutefois, ce regain d'intérêt pour les techniques sérielles dans les années 1950, ainsi que l'influence dominante des tendances modernistes changent la donne. Inquiète à l'idée que son style musical puisse être jugé dépassé ou trop conservateur face aux nouvelles tendances, elle décide de prendre une année sabbatique pour se rendre en France. Elle entendait rencontrer, entre autres, Nadia Boulanger, célèbre pédagogue française particulièrement réputée en Amérique du Nord. Elle obtient à cette fin une bourse de la Royal Society of Canada qui lui finance une année d’études en France en 1955. L’enseignement et la personnalité de Nadia Boulanger ne lui conviendront cependant pas. Son séjour en France sera néanmoins enrichissant, au regard notamment de cette possibilité d’être au contact des musiques qui l’avaient tant inspirée. Elle revient revitalisée de ce séjour, recentrée sur l'essentiel de sa pratique de création. Ce séjour lui a, en effet, permis de consolider son engagement en tant que compositrice et donné la force de poursuivre sur sa voie personnelle hors de toute doctrine et tendance du moment, acceptant que sa démarche puisse être jugée plus traditionnaliste que les tendances avant-gardistes de l’époque. La productivité de Coulthard à la fin des années 1950 et tout au long des années 1960 fut soutenue. Son plus grand projet, l'opéra en trois actes, Le Retour du Natif, commencé à Paris en 1955 sera achevé seulement en 1979. Dans les années 1960, son œuvre gagne en reconnaissance internationale, grâce notamment à de nombreuses diffusions radiophoniques à travers le monde.
Elle prend sa retraite et quitte son poste d'enseignante à l'Université en 1973. Mais sa carrière musicale est loin d’être terminée. Cette période d'après-retraite s’avère plus encore prolifique, et riche dans l'évolution de son langage musical. Elle reçoit de nombreuses distinctions et récompenses pour ses créations (voir ci-dessous), restant active dans le domaine de la création jusqu'à la fin de sa vie, acceptant des commandes même à un âge avancé. Jean Coulthard s'éteint en mars 2000 à l'âge de 92 ans, ayant vécu la majeure partie de sa vie à Vancouver. Elle laisse une œuvre importante avec un catalogue de plus de 350 œuvres dans presque tous les genres musicaux, parmi lesquels un opéra, quatre symphonies, un concerto pour violon, trois quatuors à cordes, un nombre important de sonates et de pièces de musique de chambre, ainsi que de nombreuses pièces pour voix ou pour ensemble vocal.
Esthétique, langage musical et expressivité
Son style musical s'est développé au fil des années, brassant différentes influences parmi lesquelles, en premier lieu, on l’a dit, l’impressionnisme, le romantisme, la musique de Bartók ainsi que différentes esthétiques modernistes, tout en y adjoignant différents éléments issus de la culture canadienne dans plusieurs de ses compositions. Son langage musical repose, comme précédemment évoqué, en grande partie sur les assises d’un langage tonal élargi, sans pour autant céder à l’académisme, ayant toujours été en quête d’originalité dans sa démarche. Ses compositions combinent ainsi des éléments tels que les formes traditionnelles avec un langage tonal-modal, agrémenté notamment d’éléments polytonals et d’harmonies chromatiques. Son langage, comme on l’abordera plus loin, évoluera aussi, cependant, vers l’exploration de techniques d’écriture modernistes. Toujours est-il que face à l’essor des doctrines d'avant-garde de la deuxième moitié du XXe siècle, souvent associées, à tort ou à raison, à une image de cérébralité, Coulthard défendait d'abord l’idée du caractère sensible, expressif et personnel de la création censée d’abord parler au cœur, et non pas seulement à l’intellect – une idée qui revient souvent dans ses discussions. Sa musique entendait représenter l’idée qu’elle se faisait des valeurs humaines dans un âge de science. Elle était d’abord préoccupée par la question de l’expressivité et du caractère évocateur de la musique. Selon elle, l’impulsion créative devait rester de l’ordre de l’intuitif et du spontané sans chercher à se forcer ou à se conformer à un style, une doctrine ou une technique imposée. C’est à ce prix, à ses yeux, que l’on pouvait rester en phase avec la mécanique de sa propre sensibilité créative et que l’inspiration pouvait venir plus librement. Dans une perspective analogue à la démarche de Bartók ses œuvres entendaient également exprimer certains sentiments liés à son attachement à sa patrie, explorant différents aspects de la vie canadienne, tant à travers l’évocation de ses paysages, que ses traditions –d’où les nombreuses références, dans sa musique, à la culture canadienne et parfois aussi à celle des peuples natifs (à l’instar d’une pièce comme Love Song of the Haida Indians). Parmi ses œuvres les plus emblématiques à cet égard, Canada Mosaic (1974), une suite orchestrale célébratoire commandée par l'Orchestre symphonique de Vancouver. Cette pièce, construite autour de plusieurs mélodies canadiennes traditionnelles, entend rendre hommage à la diversité culturelle et ethnique du Canada, également imprégnée de ses propres souvenirs d'enfance. Outre les références aux chants traditionnels, elle intègre également des références à des poètes ou peintres canadien-nes dans ses œuvres.
Les œuvres tardives de Coulthard, après sa retraite, témoignent aussi d’un intérêt accru pour les techniques d’avant-garde du XXe siècle, comme l’illustrent son usage de micro-intervalles, d’éléments de musique concrète (à l’instar d’une pièce de musique mixte comme The Birds of Landsdowne, en 1972), de l’électronique, les processus d’indétermination, l’usage de clusters ou même l’usage occasionnel d’une écriture dodécaphonique. Image Astrale (1981) pour piano et sa pièce compagne Image terrestre (1990) mettent, par exemple, en exergue l’usage de plusieurs de ces éléments modernistes aux côtés de formes d’écriture impressionnistes ou plus traditionnels. Ces œuvres incarnent en cela le développement de nouvelles stratégies compositionnelles déterminantes notamment pour son style pianistique de la maturité. La compositrice n’envisageait cependant pas son œuvre comme se divisant en périodes stylistiques distinctes comme on pourrait être tenté de le croire en voyant ses explorations successives du langage musical. Elle décrivait son œuvre comme se subdivisant en deux courants de pensée parallèles : l’un qu’elle décrit comme « la nature lyrique ondoyante de la lumière du soleil scintillant sur les pierres aquatiques d'un petit ruisseau », l'autre comme « plus sombre, reflétant la profondeur de l'être dans les fjords profonds de la côte ouest ». Dans la première catégorie des « œuvres ensoleillées », elle y inclut volontiers des pièces comme sa Fantaisie pour violon, piano et orchestre de chambre, son Premier Quatuor à cordes et son ensemble complet de duos de chambre pour instruments à vent et piano. Parmi les œuvres plus sombres et plus méditatives elle y inclut, entre autres, sa Sonate en duo pour violon et piano, son Deuxième Quatuor à cordes ("Threnody"), les Variations sur B-A-C-H pour piano, son Octet : Douze Essais sur un Thème Cantabile, et l'Ode Symphonique pour alto et orchestre. L’orientation esthétique diffère seulement selon la finalité à laquelle elle destinait son travail. Ainsi l’esprit impressionniste, atmosphérique et évocateur reste encore prégnant dans certaines pièces tardives comme les Sketches from the Western Woods (1970) faisant encore écho à certains éléments de l’écriture pianistique debussyste. Pour d’autres pièces, elle entendait, au contraire, explorer une approche plus abstraite, plus difficile d’accès à l’instar d’une de ses pièces, souvent considérée comme l’un de ses chefs-d’œuvre, son Octet : Twelve Essays on a Cantabile Theme (1972). Il n’y a donc jamais eu de coupure nette entre une période stylistique ou une autre, mais plutôt un élargissement des possibles et des techniques utilisées pour traduire plusieurs aspects de sa sensibilité. Les modèles de l’impressionnisme de sa jeunesse restant toujours néanmoins un point d’ancrage dans sa création tout au long de sa carrière.
Distinctions
Jean Coulthard a reçu de nombreuses distinctions et récompenses pour son travail au cours de sa carrière, tant au niveau national qu'international. C’est sans doute après sa retraite qu’elle a reçu la majeure partie des récompenses, hommages et honneurs qui lui ont été consacrés. Elle a notamment été nommée officier de l'Ordre du Canada en 1988 et Citoyenne d'honneur de la ville de Vancouver en 1978 (« Freeman of the City of Vancouver »). Elle figure également parmi les compositeurs et compositrices agréés du Centre de musique canadienne et est, par ailleurs, membre de la Ligue canadienne des compositeurs. Le label RCI lui a également consacré le coffret numéro 10 de sa collection Anthology of Canadian Music/Anthologie de la musique canadienne en 1982, y incluant notamment la discussion « Music Is My Whole Life » retraçant son parcours et ses conceptions artistiques. En 1984, elle fut aussi nommée « Compositrice de l'année » par la SDE Canada (Société de droits d'exécution du Canada limitée). Elle s’est vue par ailleurs décerner deux doctorats honorifiques de l’Université de la British Columbia en 1988 et de l'Université Concordia de Montréal en 1991. En 1994, elle recevra l'Ordre de la Colombie-Britannique. Elle fut aussi lauréate de prix internationaux lors des olympiades de Londres et d'Helsinki (pour la Sonate pour hautbois et piano, 1947 et Night Wind, 1951), de la Commission de diffusion australienne (pour la Symphonie no 1, 1950), de la British Women Musicians' Society (Capriani Prize pour sa pièce Music for Midsummer 1971) et de plusieurs autres institutions. Jean Coulthard a également été honorée en 1990 par le magazine Maclean's, qui l'a incluse dans son tableau d'honneur.
– Frédérick Duhautpas –
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Présence Compositrices - dernière mise à jour 16 décembre 2024