Interview de Philippe Mestres Président des « Nuits Lyriques de Marmande »

Propos recueillis par Valentin Gautron Lavarone en avril 2023

Du 21 au 25 août, le Concours international de Chant de Marmande propose pour la troisième année consécutive un partenariat avec le Centre Présence Compositrices qui remettra son Prix destiné à récompenser un candidat ou une candidate de talent qui interprétera des œuvres de compositrices. Philippe Mestres, Président des « Nuits Lyriques de Marmande », nous parle de cette collaboration ainsi, que du rayonnement culturel du festival.

Clarisse Dalles, première lauréate du prix Présence Compositrices au Concours International de Chant de Marmande. © Crédit photo : C. G.

Au-delà des considérations de discrimination de genre, c’est véritablement une urgence sociétale et artistique : il nous fallait ouvrir ces champs-là.

C’est cette année la troisième édition du partenariat entre le Concours de Chant de Marmande et le Centre Présence Compositrices, quelles étaient vos attentes vis-à-vis de ce partenariat ?

Avec le prix Présence Compositrices, notre volonté était d’ouvrir le champ des œuvres que l’on pouvait entendre. Avec le fait que les compositrices ont pu être négligées ou oubliées, ce sont des pans entiers de l’histoire de la musique qui nous étaient cachés. Au-delà des considérations de discrimination de genre, c’est véritablement une urgence sociétale et artistique : il nous fallait ouvrir ces champs-là. Mais nous souhaitons aller encore un peu plus loin. En ce qui concerne l’édition 2023 par exemple, nous allons imposer une pièce de compositrice pour les candidats et candidates qui présenteront le Prix de Mélodie Française. Donc les choses avancent, et je ne vois pas d’obstacle idéologique qui nous empêcherait de mettre ce genre d’initiative en place dans notre milieu.

En thématisant chaque année ces brigades, nous essayons de mettre en œuvre des missions de médiation, avec des scolaires notamment.

Cette année, ce partenariat s’étend au-delà du simple prix, pouvez-vous nous parler des divers événements organisés lors des Nuits Lyriques de Marmande ?

En effet les Nuits Lyriques englobent d’autres événements culturels que le Concours de Chant. D’abord, nous accueillons l’exposition « Histoire(s) de Compositrices » et diverses actions culturelles en amont de la saison estivale, avec la participation de Claire Bodin. En plus de cela, lors de la création du partenariat avec Présence Compositrices en 2021, le prix induisait l’enregistrement d’un CD. Clarisse Dalles, lauréate de cette année-là a donc pu enregistrer ce disque et viendra à Marmande le 4 mai, accompagnée d’Anne Le Bozec au piano, pour y présenter son programme autour de Nadia Boulanger, Elsa Barraine et Henriette Puig-Roget. Ces événements sont en fait inclus dans le cadre des « Brigades Lyriques », qui est cet organe qui existe depuis plusieurs années et qui nous permet de proposer diverses offres culturelles durant la saison. En thématisant chaque année ces brigades, nous essayons de mettre en œuvre des missions de médiation, avec des scolaires notamment.

Mais c’est une mission qui va au-delà de ça : il faut reconnecter la population avec son propre patrimoine.

C’est également une volonté des Nuits Lyriques que d’aller chercher ce public ?

Oui, il s’agit effectivement de parler à des personnes qui ne pousseraient pas volontairement les portes d’un théâtre. Dans notre cas, nous sommes davantage dans un profil rural et lorsque l’on remplit une salle de 500 personnes, c’est un public que l’on est allé chercher au-delà des limites de la commune, mais également au-delà des habitudes culturelles. Ce sont des gens qui, encore plus avec le contexte actuel, n’ont pas forcément la curiosité d’aller écouter de la musique classique et il nous faut aller à leur rencontre ; cela fait aussi partie de notre vocation d’artiste. Mais c’est une mission qui va au-delà de ça : il faut reconnecter la population avec son propre patrimoine. Cette musique classique qui est en perte de vitesse, ce répertoire méconnue de musique composée par des femmes, c’est autant d’objets culturels qu’il faut proposer et faire dialoguer avec le public. Parler à la jeunesse par exemple, cela va des initiatives en milieu scolaire jusqu’à la sensibilisation en crèche auprès des jeunes parents qui découvrent que cette musique leur appartient et peut également leur parler. Il ne faut pas baisser les bras sur ce point et les institutions culturelles des milieux ruraux ont compris cela assez tôt et ont certainement davantage d’avance sur cette question que les institutions urbaines qui ont peut-être trop longtemps compté sur leurs afficionados.

Souhaitez-vous voir ce genre d’initiative fleurir davantage dans le paysage culturel français ?

Evidemment, c’est le travail de tous les artistes de faire vivre ce patrimoine musical. Au même titre que l’on redécouvre des manuscrits de musique ancienne, il est important de mettre en avant la musique qui a été composée par des femmes. Il ne faut cependant pas jeter la pierre aux interprètes qui ne proposeraient pas suffisamment ce répertoire car il y a un contexte historique qui fait que ces œuvres ont été méprisées, négligées et oubliées. Mais si malgré cela, nous, en tant qu’institution, pouvons apporter notre pierre à l’édifice et paver le chemin pour de nouvelles initiatives, nous ne nous sentirons pas totalement inutiles !

En termes de répertoire pour les candidats et candidates du Concours de Chant de Marmande, les incitez-vous à aller chercher des compositrices moins connues ou moins plébiscitées ?

Nous, nous n’incitons à rien bien sûr.  S’ils sont en difficulté pour trouver du répertoire, nous les redirigeons immédiatement vers Présence Compositrices car nous n’avons pas de ressources comparables à « Demandez à Clara ». Le concours se heurte lui à des considérations plus pratiques : il est avant tout une institution qui met en relation de futurs employés avec des employeurs et récompense les interprètes sur d’autres critères que leur choix de répertoire. Mais bien entendu que chaque candidat peut se démarquer de la manière qu’il considère la plus pertinente.

Moi-même lors de mes études à l’université ou au conservatoire j’ai été formé dans les cadres strictes de la musique classique qui excluent presque intégralement les compositrices.

Après la deuxième édition de ce partenariat, est-ce que vous pouvez observer une évolution en faveur du répertoire de compositrices ?

Je pense qu’il est un peu tôt pour le dire, mais ce genre d’initiative ne peut que faire aller les artistes dans la bonne direction. Ce que je peux aussi noter c’est que ces consignes que l’on impose aux candidats du Prix de Mélodie Française et du Prix Présence Compositrices se confrontent bien souvent à la réalité du manque de formation des professeurs et des universitaires qui sont bien moins familiarisés avec des œuvres de compositrices qu’avec des mélodies de Fauré ou Poulenc. Moi-même lors de mes études à l’université ou au conservatoire j’ai été formé dans les cadres strictes de la musique classique qui excluent presque intégralement les compositrices. Mais peut-être que le travail que nous faisons sensibilisera une génération qui sera plus à même de faire vivre cette musique, je l’espère en tout cas.

Auteur
Fabien Morvan