Rencontre avec Héloïse Luzzati, violoncelliste et co-créatrice du festival Rosa Bonheur
Propos recueillis par Emmanuelle Bordon en octobre 2020
Un projet un peu fou. Tel était celui d’Héloïse Luzzati et Lou Brault, qui ont voulu, au cœur d’une période rendue difficile par la crise sanitaire et malgré elle, créer un festival musical. Une idée qui prend corps en dix jours, un programme élaboré en 48 heures, des musiciens et des musiciennes qui répondent positivement, et un travail d’organisation acharné ; le festival était né. Avec un but particulier, en plus du plaisir musical offert : mettre en lumière des compositrices. Nommé « Un temps pour elles », ce festival s’est déroulé tous les week-ends du 24 juillet au 20 septembre, au château de Rosa Bonheur, à Thomery (Seine et Marne). Et cette édition devrait être la première d’une longue série.
Rencontre Avec Héloïse Luzzati, violoncelliste et co-créatrice de l’événement.
Pourquoi ce festival ? Quelle est son histoire ?
Je fais des recherches depuis des années autour des compositrices et il y en a beaucoup dont je rêvais de faire jouer les œuvres. Le projet a été construit très rapidement, en une dizaine de jours, et la programmation -les interprètes comme le répertoire- a été élaborée en deux jours. Paradoxalement, même si la période était difficile en raison des conditions sanitaires, beaucoup des participants avaient été libérés par l’annulation des concerts. Ils étaient donc disponibles et heureux d’être sollicités. Quant au lieu, le château de Rosa Bonheur, il a permis de faire des représentations en plein air, ce qui était rassurant pour le public. Catherine Brault, la propriétaire du château, et sa fille, Lou Brault, très enthousiastes, se sont beaucoup investies dans l’organisation.
Nous avons heureusement bénéficié de financements de la DRAC et du département. Qui plus est, organiser cet événement dans le château de Rosa Bonheur (et en lien avec l’office du tourisme) nous a beaucoup aidées en nous ouvrant des portes. Sur la forme, enfin, nous avons choisi d’étaler le festival sur deux mois, avec des concerts le week-end, pour permettre aux habitants du territoire d’y venir et fidéliser un public qui n’était pas parti en vacances.
Pour la suite, notre objectif est de pérenniser ce festival et d’en faire un événement annuel, même si nous ne savons pas encore exactement sous quelle forme.
Il y a beaucoup de compositrices dont je rêvais de faire jouer les œuvres
Qui a choisi les œuvres programmées ?
Le choix est souvent venu de moi, et parfois, des musiciens eux-mêmes. Nous sommes partis d’une œuvre qu’ils avaient déjà jouées ou bien j’ai fait des propositions. Malgré le peu de temps dont nous disposions, 80 % des pièces qui ont été jouées pendant le festival ont été travaillées pour l’occasion. Je leur suis très reconnaissante parce qu’ils m’ont fait confiance et c’est la réactivité de chacun d’eux qui a rendu ce festival possible. En outre, même si l’objectif était de mettre les compositrices à l’honneur, les programmes ont avant tout raconté une histoire, esthétiquement et historiquement.
Comment a réagi le public ?
Il y a eu du monde et les spectateurs revenaient. Certains ont vu jusqu’à 16 concerts sur les 18 ! Même s’ils ne connaissaient pas le répertoire, ce n’est pas -ce n’est plus- un frein. Nous nous sommes par ailleurs efforcées de tisser un lien d’un concert à l’autre, pour qu’il y ait une cohérence de l’ensemble du festival. Et les spectateurs étaient demandeurs. Pour nous, c’est une grande satisfaction, qui nous pousse à continuer en 2021.
Les spectateurs étaient demandeurs
Comment vous situez-vous dans le réseau de ceux qui se préoccupent des compositrices ?
Je me sens comme une pierre parmi d’autres sur un grand chemin. Pour moi, toutes les initiatives sont importantes et imprégnées de celles qui ont précédé. C’est une énergie qui me porte et je suis heureuse de rajouter une petite pierre supplémentaire.
Avez-vous l’impression qu’il est plus facile de faire jouer des compositrices maintenant, par rapport à il y a dix ans par exemple ?
J’ai en effet la conviction que c’est plus facile aujourd’hui. Le public est prêt et les programmateurs aussi. Il y a une nouvelle forme de féminisme qui rend cela possible alors qu’il y a dix ans, c’était bien plus ardu.
Cela étant, il y a encore des écueils dans lesquels il serait facile de tomber. Il arrive par exemple que l’on voie des programmations « 100 % féminines », dont on pourrait se réjouir. Mais cela ne sert à rien si c’est pour se donner bonne conscience et ne plus programmer de compositrices par la suite. L’objectif doit bien être de programmer les œuvres des femmes un peu tout le temps. Pour ma part, j’essaye de tourner autour de la question comme si ce n’était pas un sujet.
Je suis heureuse de rajouter une petite pierre supplémentaire
Vous-même, vous êtes violoncelliste, avez-vous joué des œuvres de compositrices pendant vos études ?
Non, aucune. J’en ai pris conscience un peu tardivement, à la fin de mes études, vers l’âge de 25 ans. En revanche, à partir du moment où cette prise de conscience était faite, c’est devenu un sentiment très fort, insupportable et oppressant. J’ai ressenti une véritable urgence au fur et à mesure que je réalisais ce que cela avait de scandaleux. C’est pourquoi j’ai commencé à faire des recherches sur le sujet. Ce festival en est un aboutissement possible.
Un autre aboutissement est la création d’une chaîne Youtube et d’une page Facebook appelées la « Boite à pépites », qui met aussi en avant les compositrices.