Présence Compositrices à l’Abbaye de La Celle
Un lieu de lumière pour la création musicale des femmes

C’est avec une très grande joie, partagée par l’équipe de Présence Compositrices, que je viens vous parler de l’évolution de notre festival et vous dire quelques mots sur sa prochaine édition. Une 14ème édition, déjà, alors que nous venons à peine de terminer la 13ème en novembre, mais une 14ème qui est aussi une 1ère puisqu’elle se déroulera dans un nouveau lieu, au cœur de la Provence Verte, au sein même de la belle Abbaye de La Celle.

L’histoire de cette abbaye, riche et complexe, toute de constructions et démolitions dont le fil d’Ariane est patiemment déroulé par des archéologues et historiens passionnés, nous apprend qu’elle abrita du XIème au XVIIème siècle un monastère féminin, ce qui, déjà, résonne joyeusement avec notre ligne artistique. Mais ce qui nous réjouit encore davantage est d’apprendre qu’en 1225 une certaine Garsende de Sabran y arriva et, qu’en plus d’être Comtesse de Provence et de Forcalquier, elle était femme troubadour, autrement dit et selon le mot de l’époque, trobairitz. Elles ne sont pas très nombreuses les trobairitz dont l’histoire a gardé la trace, alors quel plaisir pour nous, et quelle chance, d’imaginer cohabiter avec le souvenir subtil de l’une d’entre elles… J’aime à penser que nos mains qui touchent les pierres anciennes rencontrent et caressent sans le savoir toutes celles des temps passés.

Classé lieu patrimonial, l’Abbaye de La Celle mériterait donc aussi l’appellation de lieu matrimonial, la réunion de ces deux épithètes devenant symbole de tolérance et d’ouverture et donnant tout son sens à l’implantation de notre projet en faveur de la création musicale des femmes.

Investir un lieu chargé d’histoire, changer de format, inviter notre public à nous suivre, mais aussi le renouveler, inventer encore de nouvelles manières de faire connaître et aimer le répertoire des compositrices est très enthousiasmant. Mais avant d’en d’aller plus loin, je voudrais rappeler ici un souvenir qui m’est cher. Nous étions en 2009, le concert de la toute jeune Compagnie Les Bijoux Indiscrets que je dirigeais de mon clavecin avait pour titre « Motets pour Voix de Femmes » et avait été programmé par le Conseil Départemental, lors des journées du patrimoine à l’Abbaye de La Celle. Je garde en mémoire les voix expressives de mes amies Noémie Rime et Edwige Parat, mais aussi le souvenir d’une pluie battante, des heures durant, une pluie torrentielle, de celles qui en septembre diluent, noient et emportent toutes les poussières de l’été. Cette pluie n’avait pourtant pas empêché le public d’être au rendez-vous et je me souviens avoir intensément ressenti cette sensation de chaleur si particulière et sécurisante quand, dehors, les éléments se déchainent et que, protégée par des murs épais, toute une communauté est réunie.

A la suite de cette journée pluvieuse et musicale, nous avons obtenu notre première subvention un tant soit peu conséquente et je garde toute ma reconnaissance au Conseil Départemental pour son soutien de la première heure.

Le renouvellement de ce soutien me touche aussi pour deux autres raisons. D’abord parce que, plus de quinze ans après, il témoigne d’une reconnaissance pour le travail accompli et qu’il lui offre un beau lieu et des moyens pour continuer de se développer, au cœur même du département et de la région qui l’ont vu naître. A toutes fins utiles, je rappelle ici, pour celles et ceux qui découvriraient peut-être notre action, qu’elle est née, précurseuse (étonnamment le mot résiste au féminin !) en 2006, sous la forme d’un ensemble baroque dédié au répertoire des créatrices de cette époque. Puis que cette action s’est incarnée au travers d’un festival tout aussi précurseur en France (cette fois pas de problème avec le masculin), programmé sur l’agglomération toulonnaise à partir de 2011, puis au travers de multiples actions qui ne cessent de se développer.

J’aime, plutôt que de laisser penser que ma volonté serait d’exclure de notre programmation les belles œuvres des compositeurs, présenter le festival comme étant une sorte de « laboratoire », dont la vocation est de permettre aux œuvres longtemps restées dans les oubliettes de l’histoire, d’être confiées aux mains expertes d’excellents artistes, femmes et hommes, pour être interprétées dans de très bonnes conditions. Ce focus original et assumé a permis à des centaines de professionnels de commencer à découvrir et explorer un pan de l’histoire de la musique qui leur était méconnu. Plusieurs centaines d’œuvres et de noms de compositrices de tous temps et de tous pays ont été programmées et le festival a par ailleurs mis en place, à partir de 2017, une politique de commandes d’œuvres, d’accueils en résidence et d’invitations de compositrices. Grâce à ce travail, un public nombreux a pu lui aussi profiter d’un répertoire dont il était privé à son insu.

Je suis heureuse aussi du fait que la reconnaissance et le soutien du Conseil Départemental témoignent d’un important et visible passage à l’acte en matière d’égalité dans le domaine culturel et musical. Il est juste d’offrir à celles et ceux qui aiment la musique la possibilité de fredonner au volant de leur voiture, au jardin, ou sous leur douche, des fragments d’œuvres de compositeurs ET de compositrices ! De quoi conjuguer, j’aurais même envie de dire réconcilier, les divers pans de l’histoire de la musique occidentale qui n’en devient que plus riche et plus belle.

Dorénavant positionné au mois d’avril, le festival se déclinera dès le prochain printemps sur trois weekends, du vendredi au dimanche inclus. J’ai fait le choix que chacun d’eux possède sa propre identité, susceptible d’intéresser en tant que telle. Malgré son changement de format et lieu et pour et pour que perdure son histoire, je souhaite que notre festival ne change pas la ligne artistique qui est la sienne depuis 2011 mais, comme le font tous les grands chefs cuisiniers et les grandes cheffes cuisinières, je me propose d’en revisiter le contenu…en espérant, si possible, le décrochage de quelques étoiles !

« Faire parler les touches »

Le premier weekend « Faire parler les touches » est dédié au clavier, l’expression faisant référence aux éloges affectueux de la peintre Elisabeth Vigée Lebrun envers l’art pianistique particulièrement expressif de son amie compositrice Hélène de Montgeroult. Ce weekend ouvrira par un grand cycle romantique de Fanny Mendelssohn, peu souvent joué en concert, « Das Jahr », sorte de résumé pianistique de son séjour d’un an en Italie, sous les doigts de Marie Vermeulin, accompagnée par des textes dits par Julie Gayet.
A travers ses « Muses oubliées » le pianiste Antonio Oyarzabal illustrera le côté puissamment créateur de ces « déesses » de la composition, au travers d’œuvres de compositrices d’époques et nationalités diverses : Mana Zucca, Amy Beach, Florence Price, Elisabeth Jacquet de La Guerre, Mel Bonis, Cécile Chaminade, Emiliana de Zubeldía, Germaine Tailleferre, Lili Boulanger, Lucija Garuta, Vitezslava Kaprálová…de quoi donner une idée de la très grande richesse du répertoire pianistique des compositrices. Puis c’est au piano-forte, sur un authentique Pleyel de 1830, que Lucie De Saint Vincent proposera ensuite ses propres coups de cœur pianistiques, des œuvres d’Hélène de Montgeroult et Marie Bigot, ayant toutes deux connu la révolution française, mais néanmoins précurseuses du romantisme à venir et des œuvres de leurs consœurs pleinement romantiques cette fois de Fanny Mendelssohn et Clara Schumann.
Consciente de la belle diversité des esthétiques musicales je souhaite qu’entre-elles – et c’est une des nouveautés de ce nouveau format de festival – des passerelles puissent être tendues, qui permettront aux artistes de se rencontrer et à des publics n’ayant pas forcément les mêmes goûts musicaux de circuler de l’une à l’autre. Et c’est avec un concert de jazz dédié aux compositrices américaines, que le trio constitué d’Edouard Ferlet au piano, Jean – Charles Richard au saxophone et Simon Tailleu à la contrebasse inaugurera ce nouvel axe de notre programmation. Il sera rendu ce soir-là un bel hommage à des compositrices qui ont su s’imposer dans un milieu majoritairement masculin : Mary Lou Williams, Toshiko Akiyoshi, Terry Pollard, Carla Bley, Amina Claudine Myers, Gery Allen.

« A claires voix »

Le deuxième weekend porte le nom d’une œuvre chorale de la compositrice française Claude Arrieu. L’ énoncer de cette manière me fait un peu l’impression d’une charade ! Le titre dit bien son rapport avec la voix qui sera la thématique de ces trois jours et ses consonances jouent joliment avec la lumière, celle de l’inspiration qui guide les œuvres, celle du timbre des voix, celle du lieu…
La mezzo-soprano Lucile Richardot et la pianiste Anne de Fornel ouvriront ce weekend dans un programme de mélodies et songs des compositrices françaises Nadia et Lili Boulanger et des anglaises moins connues Liza Lehmann et Rebecca Clarke. Un programme rêveur et sensible auquel elles ont donné le titre de « Berceuses ».
Puis c’est à la découverte d’une parfaite inconnue que le guitariste Antonin Vercellino vous conviera le lendemain, en préambule au concert du soir et avec quelques œuvres de Julia Piston, guitariste et compositrice du XIXème siècle à découvrir.
En soirée, il vous sera proposé d’emprunter des « chemins qui montent » au travers de chants de Kabylie, hommage à l’Algérie, son pays natal, de la chanteuse Amel Brahim Djelloul, accompagnée de cinq instrumentistes.
Nous avions eu les prémices du romantisme dans des œuvres pianistiques sous les doigts de Lucie De Saint Vincent. C’est dans un programme « Romances et lieder à l’aube du XIXème siècle » que nous retrouverons le beau piano Pleyel en clôture de ce weekend, cette fois sous les doigts d’Aline Zylberajch, complice de la mezzo-soprano Coline Dutilleul. Dans ce programme tout en douceur et subtilité qui vous fera entrer dans les salons français et allemands du début du XIXème siècle, bien d’autres compositrices seront à découvrir ou continuer de découvrir : Louise et Juliane Reichardt, Hortense de Beauharnais, Marie Bigot, Elisabeth Desfossez, Bettina von Arnim, Sophie Gail, Hélène de Montgeroult, Julie Candeille.

« Chambre sur cloître »

Avec « Chambre sur cloître » et à l’occasion d’un troisième weekend, nous clôturerons cette édition de printemps autour de la musique de chambre. Œuvres pour violoncelle et piano avec Natacha Colmez et Camille Belin, pour violon et piano avec Elsa Grether et Aline Piboule, pour trio violon, violoncelle et piano avec le Trio Sōra. Chacun de ces trois concerts permettra la découverte de très belles pièces musicales encore méconnues pour la plupart. Louise Héritte Viardot, Hedwige Chrétien, Marie Jaëll, Charlotte Sohy, Michèle Reverdy, Simone Plé, Amy Beach, Fanny Mendelssohn, Mel Bonis, Rebecca Clarke seront au programme de ce weekend qui vous proposera aussi une échappée musique du monde avec un moment dédié à des chants Séfarades interprétés par la chanteuse, compositrice et harpiste Sophie Leleu et Marti Ilmar Uibo aux percussions.

Trois compositrices invitées

Le délai entre notre13ème édition et cette 14ème et 1ère à l’Abbaye de La Celle ne nous a pas permis d’investir le champ de la création contemporaine comme nous le souhaitons pour les années futures. Mais trois compositrices ont néanmoins été conviées durant le temps du festival et à l’occasion de chaque weekend, elles animeront des ateliers d’improvisation ouverts à toutes et tous, gratuitement et sans pré-requis musicaux. La seule contrainte sera de s’inscrire pour réserver sa place ! Sophie Leleu pour le premier weekend, Emmanuelle Da Costa pour le deuxième et Lisa Heute pour le troisième sont nos invitées. A travers leurs propositions, vous découvrirez un peu de leur univers créatif mais aussi un peu du vôtre !

Les modulations

Venir pour un concert, pour l’après-midi ou même pour la journée à l’Abbaye de La Celle – et pourquoi pas le weekend entier puisque de nombreuses possibilités d’hébergements sont disponibles sur place, ou tout près, et que la région est si belle – est possible puisque nous proposons dans le cadre de notre festival toutes sortes de « modulations », pensées pour tout public et elles-aussi accessibles gratuitement.

S’initier à l’improvisation, participer à une chasse aux trésors (musicaux !), s’instruire sur le sujet des compositrices, assister à la naissance d’un dessin qui se crée en musique, découvrir pourquoi une œuvre nous procure quelques ressentis, participer à des moments de jeux, des rencontres, des pique-niques, des discussions…voilà quelques-unes de ces modulations qui sont à retrouver dans notre brochure de festival. Et pour que ce mot ne reste pas trop mystérieux et du domaine de l’entre soi musical, précisons qu’il fait référence à des changements dans la tonalité (on pourrait aussi dire la couleur) d’une pièce musicale. Une modulation permet de changer la couleur de cette pièce, donc de susciter d’autres ressentis, d’amener notre imagination ailleurs et pour un petit moment, avant de revenir à la couleur, la tonalité principale de la pièce. C’est exactement notre souhait : permettre des moments différents, impromptus, parfois surprenants, colorés mais toujours en lien avec notre sujet : la création musicale des femmes !

Présence Compositrices – la déclinaison jeunesse

L’édition du festival s’installant à l’Abbaye de La Celle, il me faut préciser maintenant ce que nous souhaitons garder sur l’agglomération de Toulon. Nous proposerons dès novembre 2024 une édition resserrée – mais non moins qualitative – entièrement dédiée à la jeunesse. Des maternelles aux lycées un grand nombre de projets peuvent être imaginés et plusieurs éditions de festival, de même que nombre d’actions que nous menons sur l’ensemble du territoire français, nous ont convaincus à la fois de la nécessité d’investir ce champs de création et du fait qu’il puisse être extrêmement intéressant pour le jeune public. Nous avons été un festival précurseur en 2011, nous nous apprêtons à l’être tout autant en nous intéressant à cet aspect spécifique de la création musicale des femmes en direction de la jeunesse.

Merci (s) !

Les partenaires qui soutiennent le festival sont nombreux mais qu’il me soit permis, à l’occasion de cette édition, de remercier plus particulièrement Monsieur Jean-Louis Masson, président du Conseil Départemental du Var, ainsi que Madame Véronique Lenoir, vice-présidente du Conseil Départemental du Var, présidente de la commission culture.

Notre souhait est d’arriver peu à peu à créer des liens et travailler avec un grand nombre des acteurs et actrices du territoire de la Provence Verte. Certains ont déjà été sollicités et seront présents dès avril prochain.

Nous aurons à cœur de les associer et de contribuer, avec notre festival, à donner à l’Abbaye de La Celle une identité remarquable et à en faire un lieu unique dans le Var, en région Sud et en France.

Claire Bodin
Directrice du Centre Présence Compositrices et directrice artistique du festival

Auteur
Claire Bodin